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LE NOIR TE VA SI BIEN Jean Marsan

Acte IV extrait
Lady Lucy : riche veuve multirécidiviste
Colonel John Mc Lesby : riche veuf multirécidiviste
Il viennent de se marier le jour-même (et ne se connaissent que depuis une semaine) et c’est leur « dîner de noces ».
Arthur : futur beau-frère de Lady Lucy
Le majordome.

LUCY : Oh John laisse tout traîner, il est vraiment insensé ! Voilà sa montre maintenant. Sa montre qui…. Tiens, mais qui sont ces dames dans le boîtier ?  Il y a leurs noms : Acamanda, Barbara, Carole, Linda, Alexandra et, quoi ? Elisabeth ? Elisabeth ! C’était le nom de sa femme. Alors les autres ?...instructive cette montre. Mais affreuses ces dames !
Entre John
LUCY : John, oh mon chéri que vous êtes beau !
JOHN : Je suis ravi de vous plaire Lucy, et enchanté d’apprendre que je ne suis pas le seul à connaître ce bonheur. D’où sortez vous tous ces messieurs ? (il lui tend un carnet d’adresse)
LUCY : Ciel ! D’où sortez vous toutes ces dames (lui tendant la montre).
JOHN : Ciel !
Le majordome entre suivi d’Arthur qui porte une soupière.
LE MAJORDOME : Madame est servie!
ARTHUR :    A table ! A table vite pendant que c’est chaud. Vous devez êtres affamés parce que la chasse aux champignons ça creuse un trou.
JOHN : Oui ça pour creuser un trou, ça va creuser un trou.
LUCY : Effectivement il y a dans ce potage comme un avant goût de paradis.
Le marjordome et Arthur sortent. John et Lucy s’asseyent à table.
JOHN : Dites-moi ma chère amie, vous divorcez facilement ?
LUCY : Jamais mon chéri, mes convictions religieuses s’y opposent.
JOHN : Cinq fois veuve ! Vous auriez pu me prévenir.
LUCY : Et vous ?
Arthur rentre.
ARTHUR :    Je vais laisser Dorothée se reposer, elle prendra juste un bouillon de légumes. (regarde les assiettes) Oh vous n’avez pas commencé, ne laissez pas refroidir ce serait un crime.
Il sort.
JOHN : sert le velouté de champignons en chantant : « J’ai rêvé d’une fleur qui ne mourrait jamais, j’ai rêvé d’un amour qui durerait toujours. Mais il est insensé, ce rêve que j’ai fait… » et il s’arrête brusquement… et se ressaisit : bon appétit mon ange.
LUCY : Bon appétit John.
Ils tournent leur cuillers dans les assiettes sans commencer à manger.
JOHN : Eh bien, mangez Lucy !
LUCY : Ah une seconde, je touille. Faut beaucoup touiller sans ça ça fait des grumeaux.
JOHN : Oh c’est succulent !
LUCY : Oh John, vous dites « c’est succulent » et vous n’avez même pas goûté.
JOHN : C’est que c’est un peu bouillant.
LUCY : Alors soufflez, soufflez. Pour revenir à ces six dames… mais soufflez donc… épouses ou concubines ?
JOHN : Oh jamais de concubines, mes convictions religieuses s’y opposent.
LUCY : Ah. Que sont-elles devenues ?
JOHN : Dieu les a rappelées à lui.
LUCY : Six fois ! Il vous en veut.
JOHN : Une fois de plus une fois de moins…  Je vais rajouter un petit peu de poivre, c’est un peu fade.
Arthur entre.
ARTHUR :    Je vais porter à Dorothée son bouillon de légumes. Il restait un fond de velouté, j’ai tout mangé, et maintenant je me sens un peu barbouillé.
JOHN : Enfin, de quoi est mort votre premier mari, ma chérie ?
LUCY : Euh… de la rougeole mon chéri.
JOHN : La rougeole ? Mais quel âge avait-il ?
LUCY : 44 ans.
JOHN : La rougeole est rare à cet âge.
LUCY : Oui, oui, mais d’autant plus pernicieuse.
JOHN : Et le second ?
LUCY : Le second ? Il a posé le pied sur un scorpion.
JOHN : Où ça ?
LUCY : Dans son lit.
JOHN : Qui l’y avait mis ?
LUCY : La main du destin…
JOHN : Souffrez que je la baise (il fait  un baisemain à Lucy qui lui tend la main machinalement).
LUCY : Dites-moi John de quoi est morte votre première femme ?
JOHN : De vieillesse. Oh vous savez elle avait 88 ans.
LUCY : Et vous ?
JOHN : 18.
LUCY : Deux tourtereaux !
JOHN : Oh non, vous savez, 18 ans, c’est l’âge où on ferait l’amour à un bahut breton.
LUCY : Et la seconde ?
JOHN : La seconde, un accident. Un accident : elle est tombée dans une machine à broyer les vieilles voitures.
LUCY : Oh ! Quelle horreur, John, quelle horreur, mon Dieu ! Et vous ? Où étiez vous au moment de l’accident ?
JOHN : Oh j’étais loin, très loin, à un kilomètre de là. Mais j’ai vu, j’ai vu qu’elle se penchait trop !
LUCY : A un kilomètre ? Vous avez de bon yeux.
JOHN : Oh non, on voit très bien dans la lunette d’un fusil.
LUCY : Oh !
JOHN : Dans la musette d’un Lully…dans l’allumette de Lili, dans l’amulette de Mimi, enfin je vois très bien, je vois très bien. Vous voulez un sucre ou pas du tout ?
LUCY : Pas du tout, je vous remercie…
John embarrassé se sert de sucre : pardon.
LUCY : Et la troisième ?
JOHN : La troisième, que je vous fasse rire… enfin c’est une image. La chasse ! La chasse au lion en Afrique. Oui, en Afrique. C’est horrible ce qui s’est passé. Je vais vous expliquer comment… J’étais dans un arbre, un peuplier,
LUCY : Un peuplier ? en Afrique ?
JOHN : Hein ?
LUCY : Un peuplier ? En Afrique ?
JOHN : Ah mais non, mais non. J’ai dis que j’étais dans un arbre, un peu plié (il se plie en 2).
LUCY : Ah oui.
JOHN : Lorsque j’ai vu le lion, n’est ce pas, j’ai vu le lion, une bête superbe, qui s’est avancé à pas de loup vers ma pauvre femme et il s’est jeté sur elle et il a dévoré ma pauvre Blandine. Et alors c’était affreux parce que la pauvre elle était attachée à un p…, elle m’était très attachée, et …. Enfin, c’est la vie quoi !
LUCY : C’est vraiment affreux. Pauvre John vous avez été vraiment très très éprouvé par ces trois… et la quatrième ?
JOHN : Alors la quatrième : les  champignons ! Décidément, c’est trop refroidit, ça, c’est immangeable.
LUCY : John, John, vous permettez (elle échange les assiettes).
JOHN : chic, chic, chic (tout en faisant la grimace).
LUCY : Dites-moi John, vous vous y connaissez en champignons ?
JOHN : Oui, très bien.
LUCY : Vous connaissez toutes les variétés de champignons ?
JOHN : Toutes, toutes, toutes.
LUCY : Les bonnes et les mauvaises ?
JOHN : et les douteuses.
LUCY : Et vous aimez les champignons ?
JOHN :  Je les adore.
LUCY (aimable) : Alors mangez John.
JOHN : Oui.
Lucy (autoritaire) : Alors mangez !
JOHN : Oui, voilà, je vais manger tout de suite… J’ai pas très faim moi…
LUCY : Je ne toucherai à ce potage que vous en ayez avalé une cuillérée ou deux.
JOHN : Lucy dois-je comprendre que vous me soupçonnez d’avoir empoisonné ce potage ?
LUCY : Oui John.
JOHN : Je ne l’admets pas !
LUCY : Alors mangez.
JOHN : Et puis cessez de me donner des ordres, je vous prie.
LUCY : Cessez de crier vous ne m’impressionnez pas.
JOHN : Chez les Mc Lesby c’est l’homme qui porte la culotte.
LUCY : Pas ce soir, en tout cas.
John se rassoit furieux.
LUCY : John, John, mon chéri, si vous êtes persuadé que ce potage est bon, pourquoi ne pas le goûter ?
JOHN : Oh je vais le faire, je vais le faire !
LUCY : Alors faites-le !
JOHN : Et que fais-je ? Que fais-je ?
LUCY : Faites-le !
JOHN : Je le fais.
LUCY : Faites-le !
JOHN : Regardez je le fais, ah la bonne sou-soupe ! Moi je ne me jette pas sur la nourriture comme une pieuvre. Je déguste, moi ! Je touille. On doit touillez parce que sans ça, ça fait des grumeaux. Et voilà, je porte ma nourriture le plus naturellement de ma cuiller à mes lèvres sans crainte et sans peur, et voilà (il verse la cuiller de soupe dans son oreille). Qu’est-ce qui c’est passé ? Vous avez vu ce qui s’est passé ?
LUCY : Ah ça oui, j’ai vu
JOHN : Ah c’est la dispraxie, c’est la dispraxie ! C’est une maladie, c’est très gênant. Je perds pendant quelques instants le contrôle de mes gestes, voyez vous ? ça part bien, je me dis « miam, miam, miam je vais me régaler » et hop (il met la soupe dans son oreille) C’est terrible !
LUCY : Mon chéri vous êtes surtout terriblement gênant.
JOHN : Ben oui c’est très gênant. A cheval ça va mieux.
LUCY : Oui, mais vous n’êtes pas toujours à cheval, on ne peut pas passer sa vie à cheval. Ouh quel grand enfant, mais quel grand enfant. Je vois ce qu’il veut. Il veut que sa petite femme vienne sur ses petits genoux et lui fasse manger sa petite sou soupe.
JOHN : Ah non, ah non.
LUCY : Si elle va le faire, si elle va le faire, il en a tellement envie mon beau trésor. Un bisou, un bisou, un bisou allez hop maintenant mangeons. Attention, une cuillérée pour Lucy
JOHN : Oh oui !( il fait sauter Lucy sur ses genoux et le contenu de la cuiller tombe) c’est tombé.
LUCY : Une cuillérée pour Lucy
JOHN : Et youpi ! (il fait sauter Lucy sur ses genoux et le contenu de la cuiller tombe)
LUCY : Et maintenant vous allez mettre le nez la dedans (elle lui met la tête dans l’assiette) et vous allez le manger ce potage, vous allez le manger immédiatement, ça commence à bien faire. Vous vous fichez de moi oui John, vous vous fichez de moi ?
Arthur rentre en titubant et s’écroule en râlant.
LUCY : John, Arthur râle…
JOHN  (relevant la tête de son assiette) : Oh ben il râle tout le temps.
LUCY : Non il râle-là, il râle-là !
JOHN : Ilralla ?
LUCY (s’approche d’Arthur) : il y a quelque chose qui ne va pas Arthur ? Vous avez un petit souci Arthur ?
Arthur : Je suis empoisonné.
JOHN : Il est très embêté.
LUCY : Sans doute oui.
Arthur : Non, je suis vraiment empoisonné par les champignons. Répondez-moi chaque minute compte… l’Entolome limite ?
JOHN : Comestible.
Arthur : Le phallus impudicus ?
LUCY : Comestible.
Arthur : Non, mortels. Assassins, assassins… il s’écroule.
Lucy et John restent sans voix.
Arthur (se redresse en pleine forme) : Hello ! Eh bien dites donc, heureusement que je m’y connais en champignons vénéneux, moi, et puis heureusement que je les avais jetés avant. Alors je vais vous dire une bonne chose moi : qui ne connaît rien s’abstient, dit le proverbe :
JOHN : Lybien.
Arthur : Dorothée, Dorothée, ça a marché, si tu voyais la tête qu’ils font, ils sont tout penauds.
Il sort
LUCY : Il est très drôle, vraiment très drôle.
JOHN : J’ai une petite faim moi, pas vous ?
LUCY : Moi aussi John.
JOHN : Bon appétit mon ange.
LUCY : Bon appétit, bon appétit. John ?
JOHN : Oui ?
LUCY : Prenez des forces. Demain c’est l’ouverture de la chasse.
JOHN : Vous aimez la chasse ?
LUCY : Oh moi je l’adore, chéri.
JOHN : Décidément nous avons les mêmes goûts. Voulez-vous que je vous dise Lucy ?
LUCY : Oui John ?
JOHN : Nous formons vraiment un couple…
LUCY : …parfait !

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