Martine et moi, on connaît personne. Non.
On n'a pas d'amis, pas de famille, pas d'enfant non plus. On connaît personne.
On connaît que nous, que nous deux... Et la SNCF.
Mmm. On travaille tous les deux à la SNCF. Ça fait 15 ans.
On s'est connus là-bas.
Euh... TGV. "Houa !" Et "clic clic clic". Composter. "Clic clic clic".
- Tu sais les "dong-dong" ? "Dong-dong ! Attention au départ !!!".
Ah, la gare ! La gare !
Ha ! Mais c'est des trains. C'est connu pourtant !
Avec Martine, au bureau, on a une belle affiche.
Une photo de train, avec marqué au-dessus notre devise : "SNCF, le progrès ne vaut que s'il est partagé".
Non, c'est pas ça. Il manque un truc.... Ah, oui ! "que s'il est partagè, le progrès".
Ah, ça fait 15 ans, pourtant. Ah, oui.
"SNCF, "le progrès ne vaut que s'il est partagé. Des progrès, c'est bien".
C'est beau, hein ? C'est pas ça mais c'est beau.
Après la SNCF, avec Martine, on rentre à la maison. En train. Hooo...
Et après, on dîne et au salon, on se fait des devinettes.
Des devinettes sur les tarifs, les correspondances, les horaires, les locomotives, les wagons.
On sait tout par coeur.
Enfin, des fois, y a des doutes. Alors, on téléphone aux collègues, à la gare.
- Allô, Lantier ? Oui, c'est moi. Dis-moi, le Amiens - Bar-le-Duc, de 19h15, à Dijon, il s'arrête sur quel quai, déjà ?
T'es sûr ? Quai numéro 2 ? Ah, crotte !!!
- T'as raison, Martine ! 1 point pour toi.
- Merci, Lantier ! A tout à l'heure !
Avec Martine, on a une vie saine. Une vie SNCF.
Enfin, on a quand même un vice dans la vie.
Un seul vice : Tous les mercredis soir... depuis 15 ans, à la même heure - comme les trains - on joue au Loto.
Ahhh... le petit battement au coeur. Surtout quand les boules tombent, les boules du bonheur.
Et y a 3 semaines, mercredi, pas au 1er mais 2ème tirage, on a gagné !
1 milliard ! Toutes les boules !!! On n'était pas préparés.
Ouf! Ha ... Oh... 1 milliard ?!!! Hou...
Le lendemain, on est retournés à la SNCF et les collègues ont dit : "1 milliard ?!!! Mais faut plus travailler !".
- Ah, bon ?
On est rentrés à la maison.
Oui, parce qu'on est rentrés un peu déçus mais bon, en 1ère classe !
Quand t'es milliardaire, tu peux plus travailler. C'est malheureux mais c'est comme ça.
(Il chantonne... Il imite le train.)
Et au bout de 5 jours, Martine a hurlé : "Faut qu'on sorte ! Faut dépenser ce fric ! Acheter, acheter !!!"
- Calme-toi, Minou, qu'as-tu ? Oui, faut acheter. Oui, on va acheter."
Mais quoi ?
Moi, j'aime bien les bonbons. Alors, j'ai acheté des bonbons pour calmer Martine.
Beaucoup. Mais même les rochers, qui pour nous, avant, étaient chers, surtout les pralinés...
En fait, quand t'as 1 milliard, 1 praliné, c'est rien.
Alors, j'ai acheté la confiserie.
Avec Martine, on a dégusté beaucoup de confiseries.
Pour pas que les bonbons se vendent, sinon l'argent revient.
- Diling. Bonjour, Madame. Vous voulez acheter ? Des Tagada ?
Un instant, s'il vous plaît. (Il se goinfre.) Oh, y en a plus !!!
Au revoir, Madame.
(Gloups)
- "Martine, vite, va aux "Nounours". Y a un client qui rôde autour. Va finir les "Nounours" !
Non. Mais moi, j'en peux plus !"
On bouffait tout. Mais ça se vendait quand même.
Ça nous a déclenché des problèmes gastriques. On a dû filer à la clinique.
Enfin, on était contents, ça nous faisait une sortie.
lls nous ont guéris vite : "Allez, au revoir".
- "Non, on reste. On aime bien la clinique".
- "Dehors !!!".
J'ai acheté la clinique.
Haaa... Ah, c'est une belle clinique.
- Silence, tout le monde ! Chut, oui, chut.
- Oh, viens voir, Martine, regarde !
- Bonjour, ça va ? Ça va?
- Il m'entend pas.
- Ça va ? Non ????
- Ah ben oui, hein. C'est une clinique.
En voyant tous ces malades, Martine a eu une bonne idée de dépense : Un don humanitaire.
Financièrement, ça soulage et surtout, c'est un bon geste.
On a offert un château pour M. Crozemarie.
Mais il a dit non, il a... en fait, il a dit : "Non, merci. J'ai arrêté l'humanitaire, ça me réussit pas".
Il était fâché. Pff.
On avait 1 milliard, avec la clinique et la confiserie, on a 3 milliards maintenants !. 2 milliards de bénéfices !!!
Et là, Lantier m'a dit: "Dénonce-toi aux impôts".
- Ah ! Mais oui, les impôts ! J'y avais pas pensé !!
- Allô, les impôts ? Contrôlez-nous, on fraude.
Je peux pas donner mon nom, c'est un appel anonyme...
Lantier m'a dit que quand on se dénonce, c'est anonyme.
Non, j'ai pas dit "Lantier" ?
C'est une blague. On est des enfants de 10 ans. On joue avec le téléphone.
Ecrivez pas Lantier, je l'ai pas dit!
- Martine, on a perdu Lantier !
J'ai acheté un bateau. Un gros, un paquebot.
Je l'ai fait venir de Dunkerque. Ça a coûté cher.
Je l'ai mis dans le jardin. Il est là, couché dans l'herbe. Comme ça.
Je l'ai privé d'eau pour qui rapporte rien.
Avec Martine, on sait plus quoi faire...
Martine, elle jette les billets par les hublots du paquebot.
Moi, je bois du rouge. Du Saint-Emilion de mes vignes, du vin cher : je dois tout boire.
Et après, je poursuis Martine en chaussons dans le paquebot.
C'est dur, parce qu'il penche.
Et quand je l'ai attrapée, je la frappe.
L'argent continue à rentrer, ça resoud rien.
Tout le monde y dit : "Le Loto, ça n'arrive qu'aux autres".
Mon cul, ouais !!! Ouais, MON CUL !
Nous, on sera plus jamais SNCF. On a... On a...
Entre Martine et moi, ça va plus du tout donc on se fait plus de devinettes.
Le pire du pire, eh ben, le mercredi soir, eh ben, on n'ose plus jouer.
ON N'OSE PLUS JOUER !...