DERNIERE HEURE Raymond Devos |
Figurez-vous qu'il y a quelques jours, on sonne à la porte de la maison. C'était ma belle-mère... Elle me dit : "Je sens que ma dernière heure est arrivée, je voudrais la passer chez vous !" Moi, je me dis "Une heure, c'est vite passé..." Je lui dis : "Entrez, belle-maman !" Pauvre belle-maman ! Je dois dire que j'aurais passé une partie de ma vie à la semer ! Je l'ai semée partout ! Je l'ai semée sur un quai de gare... dans la foule... Je l'ai même semé dans un champ ! (Sans jeu de mot !) Alors, en l'accueillant... je ne faisais que récolter ce que j'avais semé ! Bref ! Je lui dis : "Entrez, belle-maman ! Installez-vous !"
Une heure se passe. Rien ! Je lui dis (montrant sa montre) : "Belle-maman, l'heure tourne !" Elle me dit : "Vous êtes pressé ?" Je lui dis : "Moi, non ! Mais vous... Vous allez vous mettre en retard !" "Oh, elle me dit, je ne suis pas à une seconde près ! " Elle chausse ses lunettes et elle se met à lire les nouvelles de dernière heure ! Alors la, je lui ai dit : "Belle-maman, ce n'est pas très honnête, ce que vous faites ! Quand on a convenu d'une heure, on s'y tient ! " C'est vrai ! D'autant que je croyais que sa dernière heure, elle ferait soixante minutes, une durée normale, quoi ! Tandis que la, elle n'en finissait plus, sa dernière heure ! D'autant qu'elle me dit : "Qu'est-ce qu'on joue ce soir à la télé ?" Je lui dis : "Les cinq dernières minutes, belle-maman !" Elle me dit : "Oh, c'est plus qu'il ne m'en faut !" Et elle s'installe devant le poste. Quand elle a vu que c'était, l'histoire d'un monsieur qui essayait de semer sa belle-mère, elle me dit : "J'ai déjà vu le film. D'ailleurs, il est temps de passer de l'autre coté !" Je lui dis : "Voila une sage résolution, belle-maman ! Faites ! Passez donc !" Et elle est passée dans la chambre d'à coté ! Depuis, on en est là... On ne sait plus sur quel pied danser ! De temps en temps, on allume des bougies pour créer l'atmosphère... pour inciter au recueillement ! Dans ces moments-là, vous vous surprenez à marmonner des phrases ambiguës : "Tiens ? Il y en a une qui ne va pas tarder à s'éteindre ! Forcement ! Cela fait plus d'une heure qu'elle se consume !" Alors, les heures passent ! Onze heures ! "Vous prendrez bien un bouillon, belle-maman ? Non ?... Ah !?.." Une heure plus tard : "Et un bain de minuit, bien glac... Non ?" "Non, mais je fumerais bien une cigarette, la dernière !" "Ah !! Va chercher le paquet !" Et tout le paquet y est passé ! De plus, elle ironise : "Oh, je ne sais même plus où mettre mes cendres." Forcément, le cendrier est plein ! Je n'ose pas le vider ! On va encore dire que j'essaie de semer ma belle-mère ! |