CARACALLA Dumanoir & Clairville |
PERSONNAGES : LIVIA : Holà ! CARACALLA : Voilà LIVIA : Halte-là !...Oui, par la chaste déesse Qui bannit de nos cœurs toute folle tendresse, Respectez ce que Rome entière respecta, La fille Macrin, l'épouse de Géta ! CARACALLA , éclatant : Et pourquoi respecter la fille d'un rebelle ? (Tendrement) Je vous respecterais, si vous étiez moins belle. (Marchant) Mais je commande, moi, Marcus, Aurélius Antoninus, Rebus, Quibus, Olibrius, (Revenant à elle) Caracalla !... Mon cœur par l'amour se corrode !... J'étais encore enfant, lorsque régnait Commode. Il découvrit en moi son émule à venir, Et tout d'abord, à moi, Commode vint s'ouvrir. Trouvant à mes projets Commode nécessaire, De Commode, longtemps, je fus le secrétaire. C'est lui qui nous apprit, sans que nul répliquât, Que tout cœur de romaine est tendre et délicat. Il faut que, sans détour, ici tu te prononces : Les romaines jamais ne mâchent leurs réponses. L'es-tu ?...réponds, j'attends. LIVIA : Si je le suis, grands Dieux ! Rome a vu, dans ses murs, naître tous mes aïeux. Mais de Macrin captif, la fille, en étrangère, Dans ce triste palais, t'étage en étage erre, Si Macrin t'entendais mes parles des Romains, Il serait comme un crin, ce Macrin, que tu crains ! Tu me parles de Rome !...Oh ! Oui, je suis romaine, Et je jure haine à Rome !...Oui, je jure à Rome, haine ! Est-ce en accomplissant tes projets inhumains, Que tu prétends te faire applaudir des Romains ! CARACALLA , arpentant le théâtre et criant : Lorsque tous les romains envahiraient la salle, Des romains assemblés je brave la cabale ! Longtemps à m'applaudir ils ont usé leurs mains, Et je ne prétends plus aux bravos des romains ! Scène V, Les mêmes, Géta (Géta paraît et s'arrête au fond) LIVIA : De grâce !...écoutez-moi ! CARACALLA : Je ne veux rien entendre, Et tu m'appartiendras ! GÉTA , le repoussant. Eh bien ! Viens donc la prendre ! ( Il la poignarde à plusieurs reprises) LIVIA : AH ! CARACALLA : Morte ! GÉTA, qui l'a étendue par terre avec soin : Viens la prendre à la tombe ! CARACALLA : A dessein, D'un poignard assassi n frapper un si beau sein ! (Poignardant Géta) Infâme ! GÉTA : Ah ! CARACALLA : Meurs aussi ! GÉTA : Juste Ciel ! Je succombe ! (Il tombe la face contre terre, les mains étendues) CARACALLA , fait un geste d'insouciance et va sortir lorsqu'il se trouve en face de Macrin, et recule avec terreur. Mais quel est ce fantôme ?...Il sort donc de la tombe !... Macrin ! Lui ! Se peut-il !... Scène VI, Les mêmes, Macrin MACRIN : Non, je ne suis pas mort, Et je sors du tombeau comme un vieillard en sort ! Un pâtre m'a sauvé : le peuple, pour t'abattre, Avait de mon cachot donné la clef au pâtre. Je te brave à mon tour, et j'ai pour combattants Trois cent mille Romains et deux cent mille francs ! (Montrant Livia) Voila plus de quinze ans qu'en en forçant la porte, Ma fille, en mon cachot, seule à manger m'apporte. Eh bien ! Pour la venger, quand je sors du tombeau, Le ciel dira gloire au bourreau de son bourreau ! (Il frappe Caracalla au dos) CARACALLA : Ah ! Quel coup je reçois !... le traître ! Par derrière, Il m'a percé le sein !...Déjà ma voix s'altère… Je ne puis dire un mot, c'est l'instant de parler. Mon âme, au noir séjour, prête à dégringoler, Se rappelle, en tremblant, le nombre de ses crimes ! Je suis environné de toutes mes victimes ! Quel Dieu, pour me punir, vient de les rassembler ?... (D'une voix brisée. Criant) Je ne peux plus parler…je ne peux plus parler ! C'est toi, Ninus !...C'est toi, Varon !...C'est toi, tendre Octavie !... Venez-vous à ce mort redemander la vie ? Où je vous ai conduits, je vais moi-même aller… (Il tombe, puis se remet tout à coup sur son séant) Parlons, parlons encor, parlons toujours sur terre ! Parlons, comme l'on parle au moment de se taire ! Parlons : car ma parole est prête à s'envoler ! (Il tombe, puis se relève et crie.) Ah ! Je ne parle plus !... Je ne peux plus parler ! Ah !... (Il meurt) MACRIN : Le voilà donc mort ! Sans espoir de renaitre ! Qu'un grand homme est petit, quand il a cessé d'être ! Mais, quoi ! Tous ils sont morts, et, dans cet abandon, Je survivrais à tous, moi, Macrin !... Ma foi, non ! (Il se poignarde et tombe. A peine est-il tombé, que le soldat, resté jusque-là impassible, s'avance, se tue et tombe au milieu d'eux. Le rideau baisse) |