UN AIR DE FAMILLE d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri |
Acte I
DENIS : Ca va, Henri ?
HENRI : Ben… oui, ça va, pourquoi, qu'est-ce qu'il y a ? DENIS : Il y a rien, je te demande si ça va, c'est tout… HENRI : Tu me dis « ça va Henri ? » avec un air, là, on dirait un docteur ! DENIS : Mais enfin c'est incroyable, je te demande gentiment si ça va, je ne t'ai rien fait ! ! HENRI : Oui, le Père Tranquille, j'écoute. Ah ! Alors, t'es où ?… Mais tu sais quelle heure il est ? … Ah bon ? Et pourquoi ? … Mouais… Ah bon… Mouais… Mmmmmh… Et tu as besoin de partir chez ta copine pour réfléchir, tu ne peux pas réfléchir à la maison ?… Mais à quoi ? A quoi tu veux réfléchir ? … Je comprends rien, je ne comprends pas ce que tu me dis… (S'énervant) Qui c'est qui t'a foutu ces idées dans la tête, d'abord ?… Et tu choisis le vendredi soir, pour me faire ça ?… (Il tâche de se dominer) Bon. Écoute, Arlette, écoute, je vais te proposer quelque chose : tu viens ce soir… Et tu commences à réfléchir à partir de demain, par exemple… Bon, eh ben, prends-la ta semaine, prends quinze jours, prends toute la vie, si tu veux, j'en ai rien à foutre ! Je te parle comme je te parle ! ! ! (Et il raccroche brutalement. Un temps) … « Ce n'est pas la peine d'en faire un drame », il faudrait que je rigole, que je prenne ça calmement, tu vas voir si je vais prendre ça calmement, je vais aller là-bas, je vais lui foutre mon poing dans la gueule à celle-là ! DENIS : Ah oui, ça peut la toucher, ça… HENRI : C'est nouveau, ça, d'aller réfléchir une semaine, réfléchir à quoi ?… (Un petit temps) Voilà ! Qu'est-ce que je vais leur raconter, maintenant, il vont me dire « elle est où, Arlette ? », je vais leur répondre quoi, moi ? (Un temps. Il cogite) Elle est avec quelqu'un, c'est ça ? DENIS : Nooooon… HENRI : C'est quoi, alors ? (un temps) J'ai pas de considération, moi ? DENIS : … C'est à dire … ? HENRI : De la considération, je ne sais pas, je comprends même pas ce que ça veut dire, il paraît que je n'ai pas de considération pour elle, qu'est-ce que tu comprends, toi ? DENIS : Je ne sais pas, que vous la traitez mal, non ?… HENRI : Moi ? ! Moi, je la traite mal ? ! DENIS : C'est ce qu'elle dit … HENRI : Je la traite très bien ! De toute façon, on se voit jamais, je voudrais la traiter mal que je n'aurais pas le temps… Je travaille treize heures, je mange, je dors, et voilà… C'est tout ce que je fais ! (Un temps, il accuse le coup) … Pffffff… Je suis dégoûté… Dégoûté… Un silence. Denis est touché. DENIS : Elle va revenir… Le temps de se remettre les idées en place, quoi… HENRI : Ouais… (il en doute) . DENIS : Ca fait du bien, de réfléchir… HENRI : Ah bon ?… (Il en doute) Je ne sais pas, si ça fait du bien… DENIS : Comment, patron, mais vous ne pouvez pas dire ça, la réflexion, patron !… Remettre les choses à plat, faire le tri, peser le pour et le contre… HENRI : J'appelle ça enculer les mouches, moi… DENIS : Ah oui, c'est vrai que vous appelez ça comme ça, vous… HENRI : Si tu te mets à penser à tout, il y a toujours moyen de trouver quelque chose qui va pas, alors euh… On s'en sort plus ! Il te dit quoi, le maire, quand tu te maries ? DENIS : « Vous êtes unis par les liens du mariage ». HENRI : Non ! DENIS : Ah si ! HENRI : Avant ! Il te dit quoi, avant ? DENIS : Je ne sais pas, moi… « Vous vous devez fidélité »… ? HENRI : Non, non, non, il te dit : « Pour le meilleur et pour le pire » !… Voilà ce qu'il te dit ! Il y a pas à réfléchir, si ça va, tu es content, si ça va pas, tu patientes… C'est comme ça, la vie… Elle me connaît, elle sait comment je suis ? … Bon, je ne vais pas changer maintenant… DENIS : Et pourquoi pas ?… HENRI : Parce qu'on est comme on est, on ne change pas, et puis c'est tout. DENIS : Ah non, non, non, je ne suis pas d'accord, si on décide de… HENRI : On ne change pas, je te dis ! DENIS : Vous ne voulez pas savoir ce que j'en pense ? HENRI : Non. |