MENU
FANNY Marcel Pagnol
Acte III scène 2
MARIUS : N'aie pas peur, Fanny. C'est moi, c'est Marius.
FANNY : Tu es de retour ?
MARIUS : De passage, ne t'inquiète pas. Je veux simplement te dire bonjour, en passant ou plutôt bonsoir … Si ça ne te dérange pas. Je me demande s'il ne faut pas t'appeler Madame et te dire vous.
FANNY : Ce serait ridicule
MARIUS : Tu as tellement changé !
FANNY : J'ai vieilli.
MARIUS : A ton âge, vieillir ça s'appelle embellir. Ton mari n'est pas là ?
FANNY : Il dort. Nous sommes allés dîner en ville ce soir… Et il faut qu'il se lève de bonne heure demain matin… Tu boiras bien un verre de quelque chose ?
MARIUS : Volontiers. Mais j'aurais aimé trinquer avec lui, pour qu'il ne se fasse pas des idées … Et puis le revoir, lui parler …
FANNY : Tu pourras le voir demain certainement.
MARIUS : Ce n'est pas possible. Je repars pour Paris à 5heures. Il faut que je sois à la gare avant 4 heures. Je vais à Paris, en mission.
FANNY : Ton bateau est revenu ?
MARIUS : Non. Il est encore à Tahiti. Figure-toi que nous avons traversé un cyclone – pendant des heures tout a valsé- et plusieurs appareils océanographiques en ont pris un coup. Alors, ces appareils on ne peut pas les réparer n'importe où. Il faut les ramener à ceux qui les ont faits… parce que c'est de la précision. C'est scientifiques … ça marche à l'électricité… un pastis terrible…Alors, on les a transbordés sur un contre-torpilleur qui rentrait à Toulon, avec une mission de trois hommes et le second pour les convoyer…Et moi, j'ai fait partie de la mission, parce que j'ai demandé… Je me languissais.
FANNY : Tu te languissais de revoir ton père ?
MARIUS : Oui mon père, Marseille, Escartefigue, toi … tout le monde quoi…
FANNY : Et qu'est-ce qu'il t'a dit ?
MARIUS : Qui ?
FANNY : Ton père.
MARIUS : Je ne l'ai pas encore vu… je me suis arrêté ici en passant, quand j'ai vu ta fenêtre éclairée… mais maintenant, je vais aller dîner avec lui. Après, nous retournerons à Tahiti, avec les appareils…
FANNY : Tu as vu les Iles Sous-le vent ?
MARIUS : Naturellement. C'est très joli. C'est des montagnes qui sortent de la mer… Avec des arbres magnifiques… Il y a des gros crabes qui montent jusqu'en haut des cocotiers, pour faire tomber les noix de coco.. et puis, il ne fait jamais froid… Tout le monde est presque nu… Il y a beaucoup de belles filles et des beaux hommes qui jouent de la guitare. Ils mangent des poissons et des fruits, des beaux fruits qui ont le goût de térébenthine. Et puis, des îles comme ça, il y en a beaucoup. Enfin, dans six mois, le bateau rentre et mon engagement est fini.
FANNY : Et alors que feras –tu ?
MARIUS : Je ne sais pas encore… je verrai.
FANNY : Tu n'as plus cette folie de naviguer ?
MARIUS : On ne peut pas dire que je ne l'ai plus. Mais les folies, tu sais, c'est toujours pareil, dès qu'on a ce qu'on voulait, on se demande un peu pourquoi on l'a voulu !
FANNY : Alors tu n'es pas heureux sur la mer ?
MARIUS : On est toujours heureux quand on est là où on, a voulu aller. Et si on disait qu'on est malheureux, ça voudrait dire qu'on a été bête … Non, je ne suis pas malheureux, bien sûr… mais je me suis rendu compte que si j'étais resté ici, je ne serais pas malheureux non plus. Et toi, tu es heureuse ?
FANNY : J'ai un bon mari
MARIUS : Et une belle maison
FANNY : Oui, une belle maison
MARIUS : Ta mère va bien ?
FANNY : Oui. Très bien. Honoré n'a pas voulu qu'elle reste à la poissonnerie et pour les coquillages, il a mis une commise. Alors, maman habite avec nous.
MARIUS : Comme ça, tu es tranquille, pour faire marcher la maison… Alors voilà. Je vais dîner avec mon père, et je reprendrai le train pour Paris cette nuit…
Menu