LE TESTAMENT Muriel Robin |
Écoutez. Je ne sais pas. Hier je me sentais bien, j'étais en pleine forme, de bonne humeur, une pêche pas possible. Je me suis dit : « allez tiens, je vais faire mon testament » Oh ! La vache, à ça m'a pris la nuit. A la fin, j'étais morte. Alors le boulot. Parce que dès qu'on s'y arrête un peu, on se dit qu'est-ce que j'ai, où ça va aller. Alors je l'ai là, je l'ai là. Ah ! Oui, je l'ai fait suivre, obligée, je n'arrête pas de changer des trucs. Tout à l'heure ma sœur m'a appelé, elle m'a contrariée. Tactactactactactac. Quatre pages ! J'ai fait sauter 4 pages. Alors sinon, je crois que c'est pas mal. J'ai fait deux parties, moi. La première partie, j'ai mis 1, petit a : tous les gens que j'aime. Alors il y a Poupette, il y a Pierre, il y a Alain, il y a Françoise, Bernard. Enfin, il y a tout le monde. Petit b, j'ai mis ceux qui m'aiment aussi. C'est important quand même. Où je l'ai foutu ce post-it ! Ah, le voilà ! Ah ah ! Il faudra que je le recopie sur mon machin. Il n'y en a pas pour une heure non plus. Bon ! Petit c, j'ai mis les gens que j'aime bien, comme ça. J'ai mis Jacqueline Joubert, je l'aime bien cette femme. Je me suis dit, je la mets. Voilà ! J'ai mis Pelé, oh ! Pelé. Pelé c'est Pelé. J'ai mis le Prince Charles. Je l'aime beaucoup … et toutes ses histoires… Bref. Alors l'autre partie, j'ai mis tous mes biens. Ça m'a pris un temps… J'ai tout listé, tout numéroté, tout étiqueté. Vous verriez chez moi, il y a des étiquettes partout. Alors le premier commence à un, forcément. Et le dernier, je vais vous le dire… 5012. Alors là, on est au bord de la grande surface, c'est Carrefour. Alors cela dit, pour quelqu'un qui sait chiner, il y a des bons coups à faire, ah si ! Tout doit disparaître ! Surtout moi ! Alors voyons si ça fonctionne. Par exemple, Monsieur, au hasard, dites-moi un numéro au hasard. 42. Merci Monsieur. Alors 42. 42, Pierrette. Alors là, pas d'idée. Pour la rime, Pierrette, une clé à molette. Ça aurait été Pierrot, ce serait une pompe à vélo. Mais si ça avait été Pierre-Yves, je n'aurai pas mis un kilo d'endives. Alors on prend quelqu'un d'autre. Simone, 2088. Je ne peux pas la voir, cette Simone. Qu'est-ce que je lui ai mis ? Ah très bien ! Une télécommande. Elle va être contente Simone, de faire clac clac… Très bien… hein, Jean Denis. Qui c'est celui là ? Je ne connais pas, je ne sais pas qui c'est. Ah ! Jean Denis, séparé. C'est mon frère. Alors là, vous allez voir quand vous allez le faire, le testament. Le plus difficile, c'est les proches. Parce qu'il y a ce qu'on veut leur donner mais il y a aussi ce qu'ils pensent qu'ils vont avoir. Et alors, là, il faut le trouver le juste milieu. Par exemple, ma sœur. Elle pense qu'elle aura 100 000, moi je voulais lui laisser 20 000. Et ben, le juste milieu, elle aura, clac, 10 000. Les proches. Les parents. Mes parents, ce n'est pas que je ne veuille rien leur laisser mais enfin bon, dans l'ordre des choses, s'il y a un bon dieu, s'il ne m'arrive pas de tuile, quand même si tout se passe bien, c'est quand même eux qui vont partir avant moi ! Merde alors ! Il ne manquerait plus que ça ! Remarquez je m'excite mais s'ils meurent avant, ils vont me léguer des trucs que j'ai pas du tout pris en compte, moi. Et bien, c'est des trucs à redistribuer ça. C'est du boulot ! Vous allez voir : « Ce jour, je lègue à mes parents tout ce qu'ils m'auront légué » Et en même temps, si c'est pour prendre un camion, tout déménager de chez eux, venir chez moi, décharger le camion, le recharger pour repartir chez eux. Tout ça le jour de l'enterrement ! Franchement, on aura autre chose à foutre qu'à trimballer les meubles ! D'autant qu'on aura les deux cercueils à se farcir. Enfin, je dis les deux, les trois. Parce que moi, entre temps j'y suis passée. Ça ne tient pas la route mon truc. Moi, je vous la donne la combine. Ils me donnent tout, je ne garde rien. Et rendez vous au tas de sable. Moi les parents, ça va. Et alors pour le reste, pareil pour tout le monde : 10 000, 10 000, 10 000. Et il me reste … 800 000. C'est une somme, hein. Mais ça tout le monde le comprendra, c'est pour ma fille. C'est bien normal, elle le placera, elle le dépensera, elle en fera ce qu'elle veut d'ailleurs. Je ne serai plus là. C'est à elle, c'est à elle. Alors quand même, détail important : « penser à faire … une fille ! ». Voilà. Alors, moi je ne sais pas vous. Mais moi, tout ce qui est cousin, cousine, c'est famille et pas famille. C'est-à-dire, ce n'est pas 10 000, ça c'est sûr. Ça ne peut pas dix balles non plus. Moi j'en meurs d'envie, mais on ne peut pas, ce n'est pas la peine. Alors qu'est-ce que je leur ai mis à ceux-là ? Comment ils s'appellent déjà ? Ah les voilà. Naze1, Naze2, Naze3. 36, 37, 38. Ah très bien ! Refourguer les merdes ! Il est bien mon testament, non ! D'ailleurs si je veux aller jusqu'au bout, il faut que je pense à la concession. Ah si, si. Parce que si je les laisse faire, je vais me retrouver dans un bled paumé avec un cercueil pourri. Il y a en 2, 3, par cœur, je les connais. Ils sont capables de me poser à même le sol. A l'indienne, on la bâche et puis on va bouffer. Non, non, non, je décide, je gère, j'anticipe, je prévois, et alors surtout, JE VOUS EMMERDE ! ! Non, moi je voudrais un truc qui ait de la gueule mais pas tape à l'œil. C'est-à-dire, on est fier d'y emmener ces amis, quand même au cas où mais sans susciter la jalousie. Alors bon, pour le marbre, il faut que je pense à la couleur, à la forme, au texte. Le… truc là, ça a un nom …c'est important le …flafff.. Et pis merde, épitaphe ! Je ne veux pas une phrase du genre « ci gît », ça on s'en doute que j'y gît, j'y fais pas des crêpes. Si j'y gît, c'est que j'ai pas pu faire autrement ! Non, je voudrais un truc plus original. Il y en a un que j'avais beaucoup aimé, il avait marqué « quand je vous le disais que je n'allais pas bien ». ça c'est sûr, le gars il allait pas bien. Il y a toujours la phrase classique « je repose en paix » … sans faute d'orthographe si possible. Ou peut être aussi, c'est pas mal une phrase connue, une phrase comme ça … « pour toujours », « à tout jamais », « à tout à l'heure », « je reviens ». Je ne sais pas. Je me dis, il faut que je pense au cercueil. On n'aime pas ce mot, comment voulez-vous que je l'appelle. Ah non, incinérée c'est hors de question, je ne supporte pas la chaleur. Enfin, pour le… pour le … (cercueil), qu'est ce qu'on fait ? Moi je pose la question parce qu'alors il y a deux solutions : cher ou pas cher. Alors pas cher on tombe tout de suite dans la sapinette. Moi plutôt crever que de la sapinette. Pourquoi pas de l'agglo alors à ce moment là ? Quatre plaques d'agglo, 8 clous, un marteau, moi je le fais moi même ce week-end, ça coûtera peau de balluches. Pas cher pour pas cher, putain ! Il n'y a qu'à démonter des armoires. J'en ai à tire la rigot des armoires. Tout ça c'est de l'armoire ! Je te démonte deux portes, cric crac, c'est fait. Puis encore qu'est-ce qu'on s'emmerde, un tiroir de commode. Paf, on me prend, pouf on me colle dans le tiroir, comme ça on pourra dire « il y a le polichinelle dans le tiroir » ! Ça y est je m'énerve. Franchement qu'est ce que j'ai besoin d'aller faire un testament, moi. Je vais bien, je suis en pleine forme, j'ai jamais été aussi bien. Il n'y a aucune raison pour que je meure. On ne va pas me tirer dessus demain ! Je ne travaille pas dans la mafia. Je suis caissière au Printemps. Avant qu'on me tire dessus, j'ai une petite margounette. Vous allez dire je me coince les doigts dans le tiroir-caisse, franchement oh ! , ben oui, je jugule très vite, hémorragie, je garrotte, je garrotte. Je ne me vide pas de mon sang comme ça à la première éraflure, un samedi après-midi, au Printemps rayon soutien-gorge. Oui, je travaille aux soutiens-gorge. Je crois que c'est ça la tuile, elle est là la tuile. Quels bonnets ? Quels bonnets ? ON DIRAIT QU'ELLES PARTENT TOUTES AU SKI ! ! ! Je ne peux plus les voir. Je vais m'en faire une. Je vais en dessouder une, je le sens. Je sais même laquelle. Celle qui rigole tout le temps. Hihihi… Combien je vous dois ? Hihihi… Combien tu me dois ? Regarde ça va aller très vite ? (imite deux coups de pistolet) Ah ! tu rigoles moins ! ça te l'a coupée la chiquette ! Comme ça j'irai en prison, je serai prise en charge. Mon lit ma gamelle. Bonbons, esquimaux, caramels. Je tomberai amoureuse d'un maton, bouffe l'esquimau et pas le bâton. Voilà. Vous avez vu en tout cas je vais bien ? Écoutez, quand je prépare mon testament, je rêve que je vais en prison. Si ça ce n'est pas une fille qui va bien ! Franchement si on vous demande comment je vais. Vous direz : ben, écoutez, nous, on l'a vue cette fille. Et bien, elle va drôlement bien !
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