CYRANO DE BERGERAC Comédie Héroïque en 5 Actes en vers d’Edmond Rostand |
Acte IV scène 9
CHRISTIAN : Cyrano ?
CYRANO : Qu'est-ce ? Te voilà blême ! CHRISTIAN : Elle ne m'aime plus ! CYRANO : Comment ? CHRISTIAN : C'est toi qu'elle aime ! CYRANO : Non ! CHRISTIAN : Elle n'aime plus que mon âme ! CYRANO : Non ! CHRISTIAN : Si ! C'est donc toi qu'elle aime, et tu l'aimes aussi ! CYRANO : Moi ? CHRISTIAN : Je le sais. CYRANO : C'est vrai. CHRISTIAN : Comme un fou. CYRANO : Davantage. CHRISTIAN : Dis-le-lui ! CYRANO : Non ! CHRISTIAN : Pourquoi ? CYRANO : Regarde mon visage ! CHRISTIAN : Elle m'aimerait laid ! CYRANO : Elle te l'a dit ? CHRISTIAN : Là ! CYRANO : Ah ! je suis bien content qu'elle t'ait dit cela ! Mais va, va ne crois pas cette chose insensée ! - Mon Dieu, je suis content qu'elle ait eu la pensée De la dire – mais va, ne la prends pas au mot, Va, ne deviens pas laid : elle m'en voudrait trop ! CHRISTIAN : C'est ce que je veux voir ! CYRANO : Non, non ! CHRISTIAN : Qu'elle choisisse ! Tu vas lui dire tout ! CYRANO : Non, non ! Pas ce supplice. CHRISTIAN : Je tuerai ton bonheur parce que je suis beau ? C'est trop injuste ! CYRANO : Et moi, je mettrais au tombeau Le tien parce que, grâce au hasard qui fait naître, J'ai le don d'exprimer… ce que tu sens peut-être ? CHRISTIAN : Dis-lui tout ! CYRANO : Il s'obstine à me tenter, c'est mal ! CHRISTIAN : Je suis las de porter en moi-même un rival ! CYRANO : Christian ! CHRISTIAN : Notre union – sans témoins – clandestine, - Peut se rompre, - si nous survivons ! CYRANO : Il s'obstine !… CHRISTIAN : Oui, je veux être aimé moi-même, ou pas du tout ! - Je vais voir ce qu'on fait, tiens ! je vais jusqu'au bout Du poste ; je reviens : parle, et qu'elle préfère L'un de nous deux ! CYRANO : Ce sera toi ! CHRISTIAN : Mais je l'espère ! (il appelle) Roxane ! CYRANO : Non ! Non ROXANE : (accourant) Quoi ? CHRISTIAN : Cyrano vous dira Une chose importante… (Christian sort) |